Démocratie et justice

L'indépendance des médias menacée en République tchèque

Malgré les accusations de fraude et corruption, Andrej Babiš est tout de même parvenu à se faire réélire à la tête du gouvernement. Une bien mauvais nouvelle pour les libertés et l'indépendance des médias.

by Jonathan Day

Rencontrez le "nouveau" patron. Celui-ci n'a pas vraiment changé...

Le 6 juin, Andrej Babiš est devenu le Premier ministre de la République tchèque, pour la deuxième fois en sept mois. Une bien triste nouvelle pour l'indépendance des médias et les libertés de la société civile, qui se voient directement menacées par Babiš et d'autres oligarques.

De l'agro-industrie à la politique... il n'y a qu'un pas

Andrej Babiš a réussi à se hisser au sommet de la politique après une carrière de businessman bien menée, ce dernier étant la deuxième personne la plus riche du pays, et ce grâce à son entreprise d'agro-industrie Agrofert. L'argent, un réseau bien fourni et un excellent timing : voilà les ingrédients qui lui auront permis de se faire une place sur l'échiquier politique, en tant que populiste et alternative à l'élite, à l'image de Trump aux USA. Il aura fondé son propre parti, ANO (ce qui veut dire "oui" en tchèque). Rapidement, il devient ministre des Finances, puis, en décembre, Premier ministre.

Mais les accusations de corruption le rattrapent. Les sources de financement de ses reprises d'entreprises n'ont jamais été clairement expliquées, et il fait toujours l'objet d'une enquête pénale, ce dernier étant accusé d'avoir empoché frauduleusement deux millions d'euros de subventions européennes. Tout cela l'a gêné dans la constitution de son gouvernement, mais une coalition est finalement parvenue à se former. Elle fera l'objet d'un vote de non-confiance le 11 juillet prochain.

Quant à ses positions politiques, elles sont difficiles à définir. Comme pour pas mal de politiciens populistes, ses propos tenus en public sont forts en émotion et font le buzz, mais manquent cruellement de fond. Les positions qu'il exprime clairement ressemblent fort à celles de ses voisins européens Orbán (Hongrie) et Kaczynski (Pologne) : l'immigration et le terrorisme sont les deux grands dangers qui menacent l'Europe. Comme ses pairs hongrois et polonais, il se voit aussi comme le sauveur de l'identité nationale, et comme eux, il commence à supprimer toute voix critique au sein et à l'extérieur du gouvernement, tentant notamment de museler les médias et de détruire leur indépendance.

Un vrai contrôle gouvernemental

Les mesures répressives visant les libertés et les droits des citoyens ainsi que les efforts menés en vue de contrôler les institutions indépendantes qui sont essentielles à l'état de droit, telles que le judiciaire, sont un phénomène problématique que l'on appelle aussi "la diminution de l'espace accordé à la société civile". Liberties a antérieurement analysé de près ce problème en Roumanie, Italie et Pologne. Dans ce dernier pays, le problème est surtout visible dans les actions du gouvernement visant à contrôler la justice, la position des représentants politiques et de nombreux médias contre l'immigration, ce qui a conduit à la mise en place de graves restrictions touchant le secteur des ONG (leurs finances et leur réputation en ayant gravement souffert).

En République tchèque, ce problème est particulièrement grave, notamment en ce qui concerne l'indépendance des médias et la liberté de la presse, toutes deux mises à mal par les politiques gouvernementales. Le succès politique de Babiš s'est accompagné d'une main mise sur les principaux médias du pays (ce qui lui a permis d'accéder au pouvoir). En 2011, il fonde le parti ANO et commence à acquérir les entreprises médiatiques peu de temps après. En 2013, il achète le groupe MAFRA, qui détient l'un des quotidiens les plus lus du pays. Puis, il ne s'arrête pas là, puisqu'il achète les quotidiens Lidové noviny et Metro, lus par plus d'un million de tchèques. Enfin, il aura ensuite acquis Radio Impuls, la plus écoutée du pays.

Un rapport de 2015 de Foreign Policy a conclu que les médias détenus par Babis sont souvent complaisants et critiquent l'opposition. Ce rapport, publié un an après la nomination de Babis au Ministère des Finances, observe également que ces médias ont mené des enquêtes sur les accusations de corruption visant l'ancien premier ministre, Bohuslav Sobotka.

Faire taire les critiques

Ces attaques ne sont pas isolées et visent aussi d'autres médias. "Les médias détenus par Babis ont aussi commencé une campagne de diffamation contre ma personne et mon journal", a confié le journaliste Jakub Patočka à la journaliste française Rachel Knaebel. Le journaliste web tchèque du site Deník Referendum était derrière un article expliquant comment Babis avait utilisé la politique pour accroître sa fortune. Le journaliste est désormais accusé de diffamation, ainsi que son site internet.

Patočka connaît très bien la raison des poursuites judiciaires qui le visent : le faire taire, et faire taire tous les opposants à Babis. Une technique bien appréciée des populistes autoritaires. En Hongrie, Orbám a pris le contrôle des médias publics pendant que ses sbires rachetaient les médias privés. Après avoir pris le pouvoir en Pologne, le parti de droite PiS a quant à lui purger la direction des chaînes de radio et télévision publiques, faisant de ces dernières ses "porte-paroles", comme l'explique un rapport de Freedom House.

Le président Zeman alimente lui aussi la méfiance envers la presse, mais aussi la malveillance. Lors d'une conférence de presse en 2017, il avait plaisanté sur le fait que le pays comptait un trop grand nombre de journalistes, et qu'il voulait "liquider" ces derniers, qu'il avait par ailleurs qualifié de "hyènes" et de "purin". Il est connu pour d'autres "faits d'armes", puisqu'il avait sorti, lors d'une autre conférence, une fausse AK-47 où il était inscrit "pour les journalistes" sur le canon.

Le classement 2017 de Reporters sans frontières a d'ailleurs mentionné ces incidents et indiqué que "le niveau de concentration de la propriété des médias était devenu critique" suite aux reprises et acquisitions de Babis et d'autres oligarques. Et sans surprise, le pays a chuté de 11 places au classement, se retrouvant à la 34ème position.

Comme la Hongrie et la Pologne ?

Mais malgré l'emprise de Babis, il y a des raisons d'espérer que les électeurs et électrices tchèques n'adhèrent pas à ses discours populistes, comme ça a été le cas en Hongrie et Pologne. Entre la République tchèque et d'autres pays de l'Europe de l'Est, actuellement gouvernés par des populistes, les différences sont nombreuses.

"Le facteur patriotique n'est pas si important dans la politique tchèque, et le facteur du sang et du territoire sont presque absent", estime Patočka. Alors qu'en Hongrie et Pologne, la vision d'une "grande nation" existe, ce n'est pas le cas en République tchèque.

Cependant, les tchèques ont été influencés par la rhétorique populiste de Babis et sont clairement réceptifs aux peurs qu'il répand et alimente vis-à-vis de l'immigration. Alors que la Commission européenne s'inquiète principalement de la Hongrie et de la Pologne, un membre du groupe Visegrad se dirige encore un peu plus vers l'autoritarisme. Si l'UE s'est principalement concentrée, et c'est largement compréhensible, sur la main mise des gouvernements sur le judiciaire et la société civile, l'érosion de l'indépendance des médias est un problème tout aussi dangereux pour la démocratie et l'état de droit.

En revanche, difficile de savoir si le populisme de Babis plongera le pays dans l'autoritarisme, comme ça été le cas en Hongrie et en Pologne. Il est tout de même fort troublant de noter que tout cette actualité est passée inaperçue en dehors des frontières de la République tchèque. Et l'UE pourrait bientôt se réveiller avec un nouveau casse-tête à régler en Europe centrale.



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