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Dégradation de l'état de droit en Pologne : les ONG appellent l'UE à agir avant qu'il se soit trop tard

La Pologne a franchi un cap très inquiétant et sans précédent, les juges se voyant désormais harcelés au moyen de diverses enquêtes disciplinaires totalement arbitraires. La séparation des pouvoirs est plus que jamais compromis et l'UE se doit de réagir.

by Polish Helsinki Foundation for Human Rights

Depuis avril dernier, époque à laquelle la CE a lancé une troisième procédure d'infraction en réponse aux attaques récurrentes visant l'état de droit menées par les autorités polonaises, fragilisant toujours un peu plus l'indépendance de la justice, la situation a continué de s'aggraver sérieusement. La Pologne a franchi un cap très inquiétant et sans précédent, les juges se voyant désormais harcelés au moyen de diverses enquêtes disciplinaires totalement arbitraires, de procédures disciplinaires officielles et de sanctions pour avoir appliqué des lois européennes et "osé" renvoyer des questions pour un jugement préjudiciel devant la Cour de justice de l'UE (CJUE).

À présent, les autorités polonaises contestent ouvertement l'autorité des jugements récemment adoptés par la Cour européenne de justice (CJUE) et par la Chambre du travail et de la sécurité sociale de la Cour suprême. Ces jugements concernent à la fois la Chambre disciplinaires de la Cour suprême de Pologne, dont la légalité est contestée juridiquement dans le cadre de l'actuelle procédure d'infraction mentionnée plus haut, et dont le manque d'indépendance a récemment mené à sa suspension au sein du Réseau européen des Conseils de la Justice (RECJ).

En tant que représentant.e.s des organisations non gouvernementales et universitaires spécialisé.e.s dans les questions liées à l'état de droit et la défense des droits humains, nous écrivons cette lettre ouverte pour vous demander instamment de prendre des mesures immédiates en vue de mettre fin au chaos juridique rampant qui frappe la Pologne.

Comme vous ne cessez de le répétez, "il ne peut y avoir de compromis quand il s'agit de respecter l'état de droit". C'est pour cette raison que nous vous demandons de soumettre rapidement une requête auprès de la CJUE afin de mettre en place des mesures provisoires dans l'affaire C-791/19 Commission c. Poland, en instance devant la CJUE. Sans la mise en place de telles mesures provisoires, les autorités polonaises se sentent libres de poursuivre les juges qui cherchent à appliquer le droit européen à travers les deux institutions qu'ils contrôlent de facto : la Chambre disciplinaire et le Conseil national de la justice (CNJ).

Il est temps d'accepter que nous faisons face à une situation dans laquelle le droit européen est bafoué. Nous appelé à la mise en place de mesures provisoires avant que la situation n'empire et que d'irréparables dommages ne soient causés.

La précédente Commission européenne avait demandé des mesures provisoires lorsque le gouvernement de Pologne avait tenté de prendre le contrôle de la Cour suprême en baissant l'âge de départ à la retraite des juges (C-619/18 R). La CJUE avait accepté la requête de la Commission, et la Pologne s'était vu ordonner de maintenir le statut quo jusqu'à ce que la Cour puisse rendre un jugement dans cette affaire.

Étant donné que les autorités polonaises contestent désormais ouvertement l'autorité de la jurisprudence de la CJUE, et cherchent activement à empêcher les juges polonais à appliquer le droit européen, quand bien même une procédure d'infraction est déjà en cours contre Varsovie (car le gouvernement a tenté et tente encore d'entraver l'indépendance des juges polonais à travers un nouveau régime disciplinaire), de nouvelles mesures sont plus que nécessaires. Il est en effet impératif d'empêcher la Commission de perdre sa capacité de faire appliquer tout jugement favorable qu'elle pourra éventuellement recevoir. Les mesures provisoires sont donc essentielles en ce sens, car si les autorités polonaises continuent et réussissent à intimider et/ou renvoyer des juges qui sont le plus enclins à appliquer les lois de l'UE et plus généralement à défendre l'état de droit, il sera trop tard pour que la procédure de la Commission en cours ait un impact quand la CJUE déclarera que la Pologne a bel et bien bafoué le principe de l'indépendance de la justice, et ce pour la troisième fois d'affilée.

C'est pourquoi la Commission européenne, dans le cadre des procédures provisoires, doit demander à la CJUE d'ordonner à la Pologne d'adopter immédiatement les mesures suivantes :

_ S'abstenir et renoncer à toutes activités, y compris les enquêtes disciplinaires préjudicielles ou procédures disciplinaires formelles visant les juges sur la base du contenu de leur décision judiciaire ou demande de décision préjudicielle.

– S'assurer que la Chambre disciplinaire suspend toutes ses activités à la lumière du jugement préliminaire de la CJUE (dans les affaires cases C-585/18, C-624/18 and C-625/18) et du jugement de la Cour suprême selon lequel elle ne constitue pas une "cour" au sens du droit européen et polonais, et s'assurer également que d'autres autorités, dont les fonctionnaires en charge des affaires disciplinaires et les procureurs, s'abstiennent de déposer des plaintes au sein de cette même chambre.

– S'assurer que le Président de la Chambre disciplinaire (ou toute personne agissant en son nom) n'est plus à même d'établir, sur une base ad hoc, avec un pouvoir discrétionnaires presque absolu, des tribunaux disciplinaires de première instance pour les affaires portées contre des juges de juridictions ordinaires, et que les tribunaux disciplinaires déjà établis dans ce sens renoncent à traiter des affaires et à délivrer des jugements.

- S'assurer que les personnes nommées au sein de la Chambre disciplinaire ne participent pas, au sein des organes de la Cour suprême (dont l'Assemblée générale des juges de la Cour suprême), aux procédures visant à combler le siège du Premier président de la Cour suprême, qui sera vacant en avril 2020, ou ceux des présidents des différentes chambres de la Cour suprême.

_ S'assurer que le Conseil national de la justice s'abstienne de nommer tout nouvel individu en tant que juge, y compris au sein de la Chambre disciplinaire, et plus généralement renonce pa toute action ou déclaration qui entrave l'indépendance des juges polonais.e.s.

Nous aurions préféré ne pas avoir à envoyer cette lettre ouverte. Malheureusement, il est indéniable que les autorités polonaises ont délibérément ignoré les multiples recommandations de la Commission européenne depuis l'activation du cadre de l'état de droit de l'UE pour la Pologne, en janvier 2016. Au lieu de prendre d'envisager ces mesures comme un avertissement et une invitation à rétablir l'état de droit, la Pologne a intensifié la répression des juges indépendants et des procureurs.

Les autorités polonaises ont désormais dépassé les limites, ces dernières ayant activement et délibérément ignoré et bafoué le jugement de la CJUE du 19 novembre 2019 et le jugement de la Cour suprême du 5 décembre, en affirmant qu'aucun de ces verdicts n'a de portée juridique sur le fonctionnement continu de la Chambre disciplinaire et du Conseil national de la justice.

La stratégie du parti au pouvoir en Pologne est claire : mettre tout le monde devant le fait accompli et se cacher derrière un simulacre de légalité si cela est nécessaire, en s'appuyant sur le Tribunal Constitutionnel sur lequel il exerce une grand influence, sur la Chambre disciplinaire ou la Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, ou encore sur le Conseil national de la justice, suspendu du Réseau européen des Conseils de la Justice, en vue d'annuler les effets du droit européen en Pologne lorsque cela arrange le parti.

Les attaques visant l'indépendance de la justice auxquelles nous assistons en Pologne sont sans précédent dans l'histoire de l'UE. Le chaos juridique actuel est voué à se généraliser car les autorités polonaises ignorent ouvertement et délibérément leurs devoirs et obligations en vertu des lois nationales et polonaises. Si cette crise n'est pas rapidement traitée, au moyen de mesures provisoires, il ne fait pas de doute que cela marquera le début de la fin de l'ordre juridique commun et interconnecté de l'UE.

"Une Europe qui protège doit aussi être le garant de la justice et des valeurs fondamentales de l’UE. Les menaces qui pèsent sur l’état de droit ébranlent les fondements juridiques, politiques et économiques de notre Union. L’état de droit est au cœur de la vision de la présidente von der Leyen: une Union de l’égalité, de la tolérance et de l’équité sociale", peut-on lire sur le site internet de la Commission européenne.

Le temps est venu de passer de la parole aux actes, et d'appliquer des mesures provisoires visant à préserver ce qu'il reste de l'état de droit en Pologne, tant qu'il est encore temps.

Cordialement,

Professor Laurent Pech, Middlesex University

Professor Kim Lane Scheppele, Princeton University

Professor Wojciech Sadurski, University of Sydney, University of Warsaw

Professor Alberto Alemanno, HEC Paris

Professor Leszek Balcerowicz, SGH Warsaw School of Economics

Professor Ryszard Balicki, University of Wrocław

Professor Petra Bárd, Central European University

Professor Gráinne de Búrca, New York University

Professor Paul Craig, University of Oxford

Dr Tom Gerald Daly, Melbourne School of Government

Professor Monika Florczak-Wątor, Jagiellonian University in Kraków

Professor Gábor Halmai, European University Institute

Professor R. Daniel Kelemen, Rutgers University

Professor Dimitry Kochenov, Groningen University

Professor Tomasz Tadeusz Koncewicz, University of Gdańsk

Professor Marcin Matczak, University of Warsaw

Professor John Morijn, Groningen University

Professor Sébastien Platon, Bordeaux University

Professor Tomasz Pietrzykowski, University of Silesia in Katowice

Professor Anna Rakowska-Trela, University of Łódź

Professor Roman Wieruszewski, Polish Academy of Sciences

Professor Jerzy Zajadło, University of Gdańsk

Amnesty International

Association for the Defense of Human Rights in Romania – the Helsinki Committee (APADOR-CH)

Association of Judges “THEMIS” (Poland)

Bulgarian Helsinki Committee

Campaign Against Homophobia (KPH) (Poland)

Civil Development Forum (FOR) (Poland)

Civil Liberties Union for Europe (Liberties)

Estonian Human Rights Centre

Foundation Prof. Bronisław Geremek Centre (Poland)

Free Courts (Poland)

Helsinki Foundation for Human Rights (Poland)

Homo Faber (Poland)

Human Rights Monitoring Institute (Lithuania)

Human Rights Watch

Hungarian Helsinki Committee

Hungarian Civil Liberties Union

Italian Coalition for Civil Liberties and Rights (CILD)

Institute for Law and Society INPRIS (Poland)

Institute of Public Affairs (Poland)

International Federation for Human Rights (FIDH)

Irish Council for Civil Liberties

“Lex Super Omnia” Association of Prosecutors (Poland)

Panoptykon Foundation (Poland)

Polish Judges’ Association “Iustitia” (Poland)

Polish National Association of Judges of Administrative Courts (Poland)

Polish Society of Anti-Discrimination Law

Presidium of the Judges' Cooperation Forum (Poland)

Professor Zbigniew Hołda Association (Poland)

Rafto Foundation for Human Rights (Norway)

Rights International Spain

Stefan Batory Foundation (Poland)

Wiktor Osiatyński Archive (Poland)


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